Quel est le but de la DSI ?
Chronique parue dans 01 Informatique du 13 juin 2008 ...
Sur l'intitulé de son stage de fin d'études en Sciences Sociales, Marie avait pu lire " revue d'objectifs et alignement stratégique ". Son oncle Paul, DSI d'une grande banque, n'avait pas été plus explicite, mais l'avait simplement convaincue de l'aider. Marie lui faisait toute confiance, et avait donc démarré son stage en posant cette même et simple question à tous les gens qu'elle croisait : " Quel est votre objectif ?". Lorsqu'elle remit son rapport d'étape à son oncle, il ne fut pas surpris par l'extrême variété des réponses : diminuer les coûts, homogénéiser les technologies, réutiliser des services, mutualiser des infrastructures, garantir des temps de réponse corrects, externaliser tout ce qui peut l'être, rédiger des cahiers des charges de qualité, simplifier le SI, faire passer un maximum de flux par le bus d'échange yz ...
Là, Paul pris son air sournois et, esquissant un sourire complice, appela son Directeur Général :
- Monsieur le Directeur, pouvez-vous nous rappeler le but de la DSI ?
- Paul, cela fait six fois que vous me posez la même question. Il y a qui dans votre bureau cette fois-ci ?! Ecoutez, je vais vous le dire une dernière fois, mais vous devriez enregistrer une cassette !
- Ca n'existe plus dit Paul en appuyant sur la fonction haut-parleur
- Paul, le but de la DSI est double : faire tourner ce qui marche déjà d'une part, et maximiser le nombre de demandes mises en production d'autre part.
- Merci Monsieur le Directeur, puis il raccroche.
- C'est tout ? interrogea Marie
- Aussi simple que cela répondit son oncle, et pourtant nous n'y parvenons pas. Les délais s'allongent, les clients n'ont pas ce qu'ils veulent, et l'informatique coûte de plus en plus cher sans que je puisse dignement justifier de son rapport qualité/prix. Voilà pourquoi tu es là.
Pourquoi donc la division d'un but en sous-buts échouait-elle à ce point ? Toute sa scolarité d'ingénieur, il la devait à Descartes et son rationalisme : tout problème pouvait se décomposer en sous-problèmes indépendants, toute cause produit des effets et il existe des causes premières, des lois immuables qui expliquent la réalité ... Cet écosystème humain trop contingent le submerge soudain de nostalgie. Il se remémore l'univers mathématique de sa jeunesse, où tout était plus simple, plus beau, où existait LA solution.
Mais c'est Marie qui donne à Paul une clé de lecture essentielle : " Si chaque département optimise à fond, c'est que le grand horloger, vous mon Oncle, n'est pas assez compétent pour coordonner le tout. Or je ne pense pas que ce soit vrai. Donc la DSI n'est pas une horloge mais au contraire un système de cercles vicieux ou vertueux entrant en résonnance les uns les autres : l'optimum de l'un peut nuire à l'optimum de l'ensemble ".
Là Paul oublia son masque goguenard devant sa nièce. Il enrageait de n'avoir pas compris lui-même tandis que tout s'éclairait dans son esprit : les achats diminuent les coûts unitaires de main d'oeuvre au détriment de la qualité des logiciels produits; les architectes simplifient le SI en créant des guichets normatifs où s'empilent les demandes des projets; les maîtres d'ouvrage tentent de cadrer la création de logiciel en accumulant les demandes métier dans des cahiers des charges qui, sous couvert d'exhaustivité, ne distinguent plus le nécessaire du superflu; les projets tentent de tenir leurs délais, mais accouchent dans la douleur de monstres inmaintenables.
Et tout ceci fait fi du temps ! Or maîtriser le temps est une vertu qui peut légitiment entrainer toutes les autres : les coûts bien sûr mécaniquement, mais aussi la qualité, car on ne pourra pas livrer vite en toute sécurité sans améliorer la maintenabilité du patrimoine. La plus grande difficulté maintenant, ce n'est pas tant de réorganiser la DSI selon ce but unique - on y parviendra par déspécialisation, équipes intégrées ou automatisation des tests - c'est d'expliquer tout ça au Directeur sans avoir l'air trop ridicule...