Ce que nous observons dans les équipes que nous accompagnons.
Comme évoqué précédemment, depuis la perspective Lean, la Definition of Ready est un standard. C’est un outil robuste qui permet à l’équipe de s’accorder sur le niveau de qualité en entrée du sprint et donc sur la capacité des équipes à livrer bon du premier coup et à s’arrêter au défaut (le pilier Jidoka). Travailler avec l’équipe sur ce standard, à la lumière des anomalies rencontrées durant le sprint, est un levier majeur pour améliorer la qualité et donc l’efficacité de l’équipe. Cela a un autre effet : en clarifiant la communication, cela améliore aussi la dimension relationnelle.
Une risque fréquemment remonté par les équipes agiles à ce sujet est que cette approche peut ressembler à un stage-gate process relativement rigide, alors que l’agilité promeut une dimension organique basée autour de la collaboration. Une objection compréhensible mais je dispose littéralement d’une vingtaine d’études de cas dans lesquelles travailler sur ce sujet a permis à l’équipe de livrer entre 30 et 80% de valeur en plus et, surtout, d’améliorer la relation entre les collaborateurs.
On peut étendre cette vision au niveau des Epics (ensemble de cas d’utilisation - User Stories - représentant une fonctionnalité). Et une Epic ne rentrera en phase de réalisation que si elle répond aux critères de la Definition Of Ready de l’Epic définis par les équipes, là encore une DoR qui est mise à jour régulièrement suite aux problèmes rencontrés dans la réalisation de cette fonctionnalité. Et là encore nous disposons de nombreux retours d’expérience concrets et chiffrés montrant les bénéfices de cette approche.
Une équipe intégration d’un éditeur logiciel proposant des solutions de Digital Asset Management. Le CEO de cette PME Tech est contraint de freiner ses commerciaux car l’équipe n’arrive pas à livrer les projets d’intégration de cette solution pour ses différents clients, qui peuvent être des institutions publiques, des constructeurs automobile ou des grandes enseignes du retail. Le regard Lean permet de poser le problème de façon claire : sur les 12 dernières semaines, en moyenne, l’entreprise a recruté 3 nouveaux clients par semaine mais n’a livré que 2 projets d’intégration par semaine. L’objectif est donc chaque semaine de livrer 4 projets (afin de répondre à la demande client et d’épurer le stock).
Avec une analyse Lean on observe que près d’un tiers des projets prévus d’être livrés et qui ne l’ont pas été sont à plus d’un tiers causés par des demandes de modifications tardives du métier sur des règles de gestion ou la composition des écrans.
L’équipe décide alors de ne faire entrer en réalisation pour la semaine suivante (l’équipe travaille en Kanban et suit semaine par semaine ce qu’elle livre) que les sujets pour lesquels la phase de Discovery (conception fonctionnelle et technique) est terminée. Le mercredi d’avant est la date limite : au-delà de cette date les chefs de projets ne peuvent plus soumettre de sujets en réalisation pour la semaine suivante.
Comme l’équipe est passée en flux tiré (elle définit chaque semaine sur une fenêtre de 4 semaines les sujets à terminer) on peut suivre chaque semaine l’écart entre ce qui était prévu et ce qui est livré : cette cause de problème fonctionnel ne se présente plus et l’équipe peut alors passer au sujet suivant (des problèmes de qualité dans la réalisation voir le Rex complet ici).
Le résultat est que l’équipe est passée de 2 projets livrés par semaine à 2,5 puis 3,5 puis 4,5 avec le même nombre de personnes. Le CEO a pu à nouveau encourager ses commerciaux à démarcher à nouveau. Lorsque vous livrez 2 fois plus de projets avec le même nombre de personnes alors que votre entreprise est juste bénéficiaire, le CA gagné en plus est de la pure marge.
Durant cette cérémonie, l’équipe de réalisation définit ce sur quoi elle s’engage pour l’itération qui démarre. Elle établit une adéquation entre sa capacité et la liste de sujets qu’elle va pouvoir traiter sur les 2 ou 3 semaines à venir (User Stories fonctionnelles, correction d’anomalies etc …)
Lorsque nous nous immergeons au sein des équipes, une des premières questions que nous posons est liée aux critères de réussite. Comment savez-vous que vous aurez réussi votre itération ? Là encore nous retrouvons fréquemment un anti-pattern dans lequel l’objectif est défini sous forme de phrase - exemple avoir avancé sur la fonctionnalité F-23 ou avoir réduit le stock d’incidents.
Il est possible qu’au début de leur mise en oeuvre de l’agilité, les objectifs étaient définis de façon chiffrée et, comme nous le constatons souvent, les pratiques se sont un peu délitées pour arriver à des objectifs d’itération qui ne sont aujourd’hui plus SMART (Simples, Mesurés, Atteignables, peRtinents, Temporellement définis) en raison de l’entropie des systèmes sociaux-techniques.
Quoi qu’il en soit, lorsque nous posons ces questions à des équipes agiles sur les critères de réussite des itérations, nous constatons que ces objectifs se déclinent en perspectives peu claires au niveau des équipes.
On pourrait présupposer que le contenu du sprint (i.e. le nombre de cas d’utilisation et de corrections d’incident intégrés dans l’itération en cours) est l’objectif implicite que s’est donné l’équipe. Malheureusement ce n’est, bien souvent, pas le cas et ce pour plusieurs raisons :
Créer les conditions de la réussite est une des clefs du management Lean. Dans le cas des équipes agiles on va donc définir l’objectif de sprint sous forme SMART : réduction de 5% du nombre d’incidents ouverts en stock ; livraison de 12 User Stories terminées ; 12 autres User Stories prêtes pour réalisation selon la DoR pour le sprint suivant.
Cela représente l’avantage d’être clair et compréhensible par tous. Mais surtout cela permet, en le rappelant lors du point matinal (le Daily Scrum, voir section suivante), de mettre l’équipe en situation de prendre des décisions éclairées tout au long de la journée.
Par ailleurs, on ne va pas intégrer de tâches supplémentaires « au cas où » afin d’éviter de créer les conditions d’une augmentation de l’en-cours. Si l’équipe termine tout ce qu’elle a prévu avant la fin de l’itération, elle rajoute alors des sujets et se questionne sur cet écart pour comprendre les causes de sa mauvaise estimation initiale.
D’une manière analogue à celle évoquée en section précédente, dans le cadre de l’agilité à l’échelle nous recommandons de donner des objectifs de livraisons d’Epic par unité de temps : Incrément Produit (Product Increment - aka PI) dans le cas d’un train ; semaine ou mois dans le cas d’un programme agile. Là encore, cet objectif permet d’alimenter l’autonomie des équipes et de leur permettre de prendre les bonnes décisions pour répondre à cet objectif.
Une R&D Logiciel d’une centaine de personnes avec 8 domaines et 15 équipes. Cette équipe ne livre pas la valeur attendue : les projets sont en retard, les clients se plaignent de problèmes de qualité.
En regardant de plus près le pilotage de la performance opérationnelle, on se rend rapidement compte que lors des lancements des trimestres, les équipes évoquent les sujets sur lesquels elles vont travailler mais on ne voit pas d’objectif chiffré ni d’engagement chiffré sur les sujets terminés dans la définition de ces objectifs.
La conséquence est que la direction et les équipes constatent en fin de trimestre des sujets qui ne sont pas terminés comme initialement prévu. Lorsque nous avons démarré le projet, la direction a livré sur les deux précédents trimestres 19 et 26 Epics. Les objectifs sont tellement flous qu’il nous est impossible de déterminer quel était l’objectif réel sur chacun de ces deux trimestres en termes d’Epics terminées.
Nous mettons alors en place ce partage de la vision des objectifs sous forme chiffrée et le suivi hebdomadaire avec le directeur et les managers. Sur le trimestre de notre accompagnement, ils ne livrent que 23 Epics sur les 32 prévus mais la pratique est intégrée et le directeur et le manager apprennent à challenger leurs équipes sur ce sujet et le pilotent au quotidien.
Sur le trimestre suivant (après notre départ), l’équipe managériale a poursuivi cet effort et cette même direction livre 36 Epics : la moyenne des 2 trimestres avec le Lean (23 et 36 – soit 29,5) est de 31 % supérieure à la moyenne des deux trimestres avant (22,5). Les Product Managers et Engineering Managers ont intégré cette pratique avec succès. Et l’ensemble de la direction (de 100 personnes) livre 31% de valeur en plus à ses clients soit l’équivalent de 31 ETP.
Dans la troisième partie de cet article nous continuons cette analyse avec les pratiques de l’animation quotidienne du Scrum (ou du Kanban) ; la démo ; et la rétrospective.